I/ Banania à l’origine:
  1. 1)Contexte historique culturel et économique de l’époque :


    Au début du 20ème siècle, l’empire colonial français prend de plus en plus d’importance et devient l’un des plus grands partenaires commerciaux de la France grâce à l’exploitation des ethnies locales. La colonisation est au centre des préoccupations de l’époque : «L’expansion coloniale est une nécessité de la vie des peuples, tout comme la marche est un besoin pour la santé» enseigne un manuel de géographie en 1907. Le mythe colonial se développe et attire les jeunes. Malgré l’influence patriotique cultivée dans les écoles de la nation et l’instinct de supériorité sur les ethnies lointaines, le goût d’exotisme pousse les générations mineures à consommer les produits issus d’ailleurs.



Image du mouvement colonial français


Rappel sur la situation française à l’époque : Dès 1880, l’influence des colonies concerne toute l’Europe. L’expansion coloniale de la France s’est faite très vite et en trente ans, le pays a vu sa superficie passée de 900 000 kilomètres carrés à près de 12 millions. De cette manière, la France devient le deuxième empire colonial après la Grande Bretagne. Cet empire est considéré comme un partenaire commerciale intéressant dans tous les domaines, avec des échanges de marchandises à très bon prix pour les colons.  L’exploitation des terres a entrainé également une exploitation de l’univers colonial. C’est-à-dire que les entreprises vont prendre appui sur cette « mode » pour développer leur produit. On parle alors de rêve colonial. BANANIA va beaucoup jouer sur cette tendance depuis son origine jusqu'à aujourd'hui.


Le journaliste Pierre Lardet, fasciné par les voyages, décide en 1909 de partir en Amérique centrale. C’est dans un petit village indien, qu’il découvre une délicieuse boisson à base de farine, de banane, de céréales pilés, de cacao et de sucre. En rentrant en France, il reconstitue cette recette avec un ami pharmacien et conçoit en 1914 avec sa femme, prénommée Blanche, une entreprise de chocolat en poudre composée de quelques ouvriers. Après différents essais tels que «Bacao», «Bana-cacao», «Banette», «Bananose», «Banarica», sa femme trouve le nom BANANIA. Ce nom peut être trompeur car la banane est un composant mineur de la recette, mais comme elle est très peu connue en France à cette époque, elle s’inscrit dans la gamme des nouveaux produits exotiques. C’est pour cela que des régimes entiers de bananes sont représentés sur les premières affiches publicitaires et par la suite sur les boîtes à fond jaune. L’usine se situe rue Lambrechts à Courbevoie et le siège administratif au 48 rue de la Victoire à Paris.


L’originalité de ce produit réside dans son goût particulier mêlant deux produits coloniaux : le cacao qui existe depuis quelques siècles déjà et la banane, fruit qui vient tout juste d’être importé des colonies. Banania s’inscrit parfaitement dans le mouvement de l’époque et Pierre Lardet sait qu’il ne faut pas s’arrêter à l’unique mixture de produits exotiques. En effet, au début du XXème siècle, de nombreuses entreprises s’inspirent de la colonisation pour constituer un produit attractif. Banania n’est donc pas à l’origine d’une innovation. Ce qui caractérise la marque, c’est le marketing du mythe colonial poussé à son maximum. Tout tournera autour des colonies : le slogan, l’image, les composants du produit.


En conclusion, à la veille de la première guerre mondiale, Pierre Lardet a créé une marque dont le nom s’est forgé une place à part dans le monde commercial. Il a formaté son marketing de façon à prédisposer Banania à un essor durable. Cette idée a créé l’une des plus grandes entreprises de chocolat en poudre français.

 
Exploitation de l’image de l’Africain :

    Dans ce contexte, Banania joue sur l’influence du monde colonial en s’appuyant principalement sur l’image de l’Africain. Cependant, afin de ne pas choquer les mentalités, la première illustration présente sur les boîtes de Banania met en scène une jeune antillaise aux traits européens, entourée de régimes de bananes.

Première affiche publicitaire de Banania : l’antillaise qui apporte «vigueur, force énergie, et santé» à la population.
                                                           
    Puis l’image du tirailleur sénégalais (l’Ami Y’a bon) apparaît. L’image de l’Africain aux traits très négroïdes est alors très affirmé. Il est aussi important de noter qu’en 1922 a lieu l’exposition coloniale de Marseille. Elle se tient du 15 avril au 18 novembre et a un énorme succès. Elle attire 1 800 000 visiteurs et un stand est consacré à Banania! Les expositions coloniales donnent lieu à des reconstitutions spectaculaires des environnements naturels et des monuments des colonies françaises et mettent en situation les indigènes (qualifiés au XXIème siècle de zoo humain). Cela fait découvrir à la population française les «fruits» de la colonisation et créé ce qu’on appel le «mythe de l’outre mer». L’utilisation de l’image de l’africain par Banania (notamment du tirailleur sénégalais) prend alors toute sa dimension dans ce contexte.

Rappel: Les tirailleur sénégalais ont joué un rôle essentiel pendant la première Guerre Mondiale, ils permettaient de rajouter de l’effectif aux troupes françaises.
Ceux ci venaient de l’ensemble des colonies françaises d’Afrique et combattaient dans des zones ou les troupes métropolitaines refusaient de servir (souvent en première ligne.)
Après la guerre, le tirailleur est désormais considéré comme un ami certes inférieur et simple mais souriant et sympathique.

     

    Ainsi, le tirailleur sénégalais en uniforme, coiffé de sa chéchia rouge à pompon bleu est présent sur toutes les boîtes de Banania. Le fond jaune, référence à la banane, le rouge et le bleu référence à l’uniforme , la main tenant la cuillère remplie de Banania, le sourire chaleureux et surtout le slogan «Y’a bon !» deviennent l'emblème de Banania. L’Antillaise, image sans véritable originalité, disparaît peu à peu derrière le tirailleur sénégalais (elle reste cependant quelques temps au verso des boîtes de Banania).

    La légende de l’origine du slogan raconte que durant la grande guerre, un tirailleur sénégalais blessé au front et rapatrié à l’arrière et fut par la suite embauché par Pierre Lardet dans l’usine de Courbevoie. La première chose qu’on fit faire à ce nouvel ouvrier c’est de lui faire goûter Banania, celui ci adora cette boisson et (selon la légende) s’exclama « Y’a bon! ». Sur toutes les boîtes de Banania, le tirailleur sénégalais, l’ami y’a bon, sera présent. Il évoluera, ses traits se modifieront mais le grand sourire et la chéchia rouge resteront fidèles à la marque.
  1. 3) Consommateurs visés :


    Au début du 20ème siècle, la France connaît la belle époque, période de développement économique et social. Avec la forte augmentation des achats secondaires, on accorde une très grande importance au soin, à l'habillement et à l'alimentation de l'enfant. On observe ainsi la volonté de pratiquer une nutrition équilibré, qui renforce l'enfant dans sa croissance : manger des fruits, boire du lait...

De nombreuses entreprises se battent pour créer l'aliment idéal pour la santé de cet enfant-roi qui devient le consommateur cible. L’enfant apparaît sur toutes les affiches publicitaires.



Type d’affiche publicitaire présente pendant la Belle époque. Nous voyons l’enfant qui pointe du doigt Banania et arrête le carrosse afin de pouvoir goûter du chocolat Banania 



On peut voir que l’enfant-roi est un enfant précieux qui doit avoir toute l’attention qu’il demande.

   

    Banania se sert de l’influence de l’enfant afin de vendre son produit. Lorsque la première Guerre Mondiale est déclarée, l’enfant roi de la belle époque cède sa place à l’enfant martyr. Banania adapte alors ses stratégies à cet enfant orphelin qui a besoin de fortifiant et de reconstituant afin d’être en bonne santé. De plus, Banania mise sur une image de produit guérisseur afin d’élargir son champ d’action et d’attirer la clientèle des adolescents et des soldats en plus de celle des enfants.

Selon les témoignages de cette époque, Banania se démarque des autres produits en devenant « l’aliment le mieux adapté aux temps difficiles ». Pour convaincre les adolescents, Banania affirme être « le complément indispensable de la diète des adolescents qui subissent les peines de la guerre ». Ce produit fortifiant fera d’eux des soldats. C’est un passage de l’exotisme au patriotisme. Afin de se populariser et de marquer les esprits, Pierre Lardet envoie un train de quatorze wagons de Banania et le distribue lui-même aux poilus qui sont alors charmés par ce produit. Par cet acte publicitaire, Banania gagne ses galons de produit national et devient l’aliment reconnu par tous.


    Dans les années d’après-guerre, le slogan du produit reconstituant des années difficiles n’a plus de raison d’être. Un nouveau défi se présente à l’Entreprise qui doit redynamiser sa marque. Banania s’est déjà fait par le passé une bonne image auprès des adultes et des enfants. L’Entreprise renforce sa notoriété auprès de ces deux consommateurs en ajoutant à son discours une connotation scientifique. Le Chocolat Banania s’affiche comme remède répondant « aux besoins physiologiques de l’organisme ». L’objectif principal de cet argument est que le produit n’est plus seulement plaisant mais également nécessaire au quotidien. De cette manière, l’Entreprise incite les familles à consommer du Banania pour leur plaisir et leur santé.

   

    Puisque la population cherche à retrouver un train de vie agréable, la consommation est plus active que jamais. Devant ce dynamisme économique, Banania intensifie fortement sa production. Malgré le fait que le produit soit apprécié par des milliers de consommateurs, le stock ne se vend pas dans sa totalité. L’Entreprise cherche alors à élargir encore plus sa clientèle et plus ambitieuse que jamais décide de conquérir toutes les catégories sociales et générationnelles.

Elle vante son produit avec pour chaque cible un argument différent :

    - Pour les enfants : c’est bon, c’est chaud, c’est sucré

    - Pour les adolescents : c’est fortifiant et cela calme agréablement sa faim

    - Pour le sportif : c’est l’aliment complet et rationnel de ses muscles

    - Pour l’homme d’affaire : c’est vite avalé et ça tient toute la matinée

    - Pour la jeune maman : c’est une assurance contre l’anémie et un soutien dans la grande fatigue.

    -Pour le convalescent : c’est reconstituant et léger à l’estomac

- Pour le vieillard : c’est une gourmandise permise qui donne des forces

Conclusion tout le monde a raison d’aimer BANANIA !


Ce projet de production de masse se concrétise par une réussite puisqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, l’entreprise a élevée son capital jusqu’à 9 millions de francs avec 1430 tonnes de ventes par an.


Conclusion de la partie : Avec l’ami Y’a bon, la marque a trouvé son slogan et son emblème. Banania en utilisant l’influence du mythe colonial et l’image de l’africain à su toucher tous les consommateurs.